Synthèse Juillet 2006 (16 pages)
INVS
"Cancers prioritaires à surveiller et étudier en lien avec l’environnement"

 

Les limites des méthodes et des connaissances scientifiques

     L’étude des liens de causalité entre cancer et environnement et la mesure des risques, en particulier aux faibles doses et à long terme en population générale, se heurtent aux limites des connaissances et des méthodes disponibles.

     Les connaissances fondamentales sur la cancérogenèse se transposent très difficilement à l’échelle humaine ou populationnelle pour de multiples raisons : inconnues sur la latence, interrogations sur l’existence d’effets seuils, multiplicité des expositions potentiellement carcinogènes pouvant se renforcer ou se neutraliser, rôle de la susceptibilité individuelle dans la détoxification et la métabolisation des xénobiotiques, difficultés de mesure de l’exposition a posteriori. Les méthodes qui permettent d’argumenter l’aide à la décision sont d’une part l’épidémiologie et d’autre part l’évaluation quantitative des risques. L’une et l’autre sont limitées par l’insuffisance de données sanitaires recueillies en France en ce qui concerne l’incidence. D’un point de vue épidémiologique, les registres de cancer ne couvrant que 14 % de la population, il n’est pas possible de connaître les variations spatiales d’incidence ni de réaliser des études étiologiques avant le décès des malades en dehors des zones géographiques, majoritairement rurales, couvertes par ces registres.

     L’étude cancers et incinérateur, en cours à l’InVS, est une bonne illustration de cette difficulté; elle n’a pu être réalisée que dans quelques départements disposant de registres. Quant aux données de mortalité, elles sont insuffisantes pour suivre ou refléter la morbidité car elles dépendent d’autres facteurs que ceux potentiellement à l’origine de la pathologie : évolution de la détection et de la prise en charge thérapeutique qui influent sur la survie, disparités de l’offre de soin ou modalités de remplissage des certificats de décès.

     Le deuxième outil décisionnel, l’évaluation quantitative des risques, s’appuie aux faibles doses sur des extrapolations de l’animal à l’homme, à défaut de pouvoir exploiter des courbes exposition/risque humaines aujourd’hui quasi inexistantes. Or l’homme est le dernier maillon de la chaîne alimentaire, mais il est plus généralement le dernier maillon, le plus complexe, de la chaîne environnementale. Nombre de connaissances établies in calculo, in vitro ou in vivo chez l’animal ne lui sont pas transposables, même si elles sont indispensables et souvent les seules disponibles. Des courbes exposition/risque chez l’homme ne peuvent évidemment pas, pour des raisons éthiques, être construites de façon expérimentale comme chez l’animal. Mais on peut bâtir épidémiologiquement de telles courbes par croisement de données de surveillance sanitaire adéquates et de données d’exposition environnementale pertinentes. Lorsque ces dernières sont obtenues avant le décès des patients, cela rend possible des mesures d’exposition plus précises à l’échelle individuelle (ex : reconstitution du parcours résidentiel, biomarqueurs, etc.) mais aussi à l’échelle collective (moins de latence entre l’exposition et l’événement mesuré). La rareté des données d’incidence et leur absence totale dans de nombreuses régions sont donc des facteurs limitant les progrès des connaissances en France dans le domaine cancer et environnement, et plus généralement en santé environnementale.