Jean Cucciniello

IEG 3ème année

Génie Physique

LIME UJF Grenoble

Mars-Juin 1986

 

 

Responsable du stage:

Mr. Georges Quezel, directeur du LIME

 

 

 

Clavier de lecture tactile pour les mal-voyants

 

 

 

 

    Ce projet, par la conception et la réalisation d'un clavier tactile constitue une étude appliquée d'une méthode de lecture destinée à des non-voyants.

 

I - Rôle du clavier de lecture

 

1 - Généralités sur l'écriture:

 

            D'une manière générale, l'écriture implique les mécanismes suivants:

- l'acquisition d'un code symbolique conventionnel et sa représentation mentale;

- l'impression par un procédé quelconque des  caractères du code sur un support matériel;

- le contrôle par la lecture du texte écrit autorisant sa validation s'il est jugé conforme par son auteur, permettant sa correction dans le cas contraire.

 

            Cette opération de contrôle se fait normalement de façon visuelle et habituellement suivant un mode séquentiel (on ne vérifie pas chaque lettre après l’avoir écrite mais plutôt un mot une ligne voire une phrase, séquence plus ou moins longue de caractères). Pour les aveugles qui écrivent en Braille, le retour de l'information s'opère par voie tactile; (ils écrivent avec un poinçon les caractères Braille composés de six à sept points au verso d'une feuille dont ils lisent le recto avec la pulpe de leurs doigts de façon séquentielle). Ce sont ces mécanismes de contrôle par la lecture tactile que doit reproduire le système réalisé.

 

2 - Configuration du système:

 

            Le système imaginé par le Dr Bachy comprend (voir dessin):

- Un clavier d'écriture placé sous la main droite comportant 8 touches, les six touches symboliques du code Sixtem et 2 touches de fonction

             - Un microordinateur Apple II qui permet :

. d'envoyer des caractères alphanumériques de son propre clavier, ou de recevoir  les
   caractères en code Sixtem du clavier d'écriture;

. de réaliser le transcodage afin d'envoyer sur l'écran ou tout autre périphérique les
   textes composés des caractères de notre alphabet usuel;

. d'envoyer les informations en code Sixtem sur le clavier de lecture tactile;

.  de séquencer le transfert des informations suivant divers modes développés par la
   suite;

. de faciliter l'apprentissage grâce à une rétroaction lecture-écriture (partie IV)

            - Un clavier de lecture placé sous la main gauche comportant 8 touches dont les symboles et
                        les fonctions sont identiques au clavier d'écriture.

 

Ce système peut fonctionner suivant deux modes (voir schéma):

 

Le mode normal :

 

            le sujet écrit un texte avec sa main droite (clavier d'écriture)

            l'Apple se charge de la gestion du texte (transcodage, temporisations..)

            le sujet lit le texte alors séquencé avec sa main gauche.

 

Le mode d'apprentissage :  

            le sujet envoie un texte mémorisé dans un fichier, ou le frappe à partir du clavier de l'Apple, vers le fichier de lecture.

            le sujet lit ce texte avec sa main gauche;

            il écrit avec sa main droite le texte qu'il vient de lire;

            l'Apple contrôle l'opération (envoi d'un signal de succès ou d'erreur).

 

Les paragraphes suivants s'intéressent au mode normal.

 

3. Le mode "contrôle instantané".

 

            Lorsqu'un non voyant tape un caractère, avec sa main droite, il peut commettre un faute de frappe et vouloir la corriger avant de frapper le caractère suivant. Il est possible de recréer le même mécanisme de contrôle instantané qui a lieu dans le cas du contrôle visuel.

            En effet, quand l'aveugle veut taper un caractère avec sa main droite, il va s'attendre à un déplacement de la touche correspondante sous sa main gauche, ce qui implique qu'il ait acquis ce "réflexe conditionné" par apprentissage. Si la touche qui envoie l'information tactile correspond à la lettre qu'il voulait frapper, le contrôle est positif. Dans le cas contraire, il est à même d'effacer le caractère erroné et de recommencer.

            Ce système de contrôle est identique à celui qu'exercent les musiciens quand ils pratiquent leur instrument: si un pianiste veut jouer un "do", il pense, il entend intérieurement et attend un "do" avant de frapper sur la touche. Si lors de la frappe, il entend une autre note, il reconnaîtra instantanément son erreur et pourra la corriger.

 

Cependant, cette fonction de contrôle instantanée ne sera pas utilisée de façon usuelle. En effet, plusieurs remarques de dactylographes et de non-voyants ont orienté nos recherches vers un mode de contrôle séquentiel:

Une dactylo ne regarde que le texte qu'elle a à taper sans se soucier de celui qu'elle est en train d'écrire, texte qu'elle vérifie généralement au bout d'un paragraphe.

            De même pour un non-voyant. Ce dernier écrit une ligne qu'il vérifie ensuite mot par mot, de façon séquentielle.

            Ces constatations nous ont entraînés à développer un mode de contrôle séquentiel.

 

            4. Le mode "contrôle séquentiel":

Dans le mode séquentiel le sujet frappe une série de caractères qui sont conservés en mémoire par l'apple.

            Ce dernier les renvoie sur le clavier tactile de façon automatique (mot par mot, ligne par ligne, phrase par phrase) ou sur un ordre de commande envoyé du clavier tactile.

            Ce mode de contrôle implique une parfaite connaissance du code qui ne peut résulter que d'un long apprentissage. Une fois le code acquis, il s'agit alors véritablement de la lecture comme nous la pratiquons usuellement avec notre alphabet.

 

            5. Le "mode lecture":

 

            Il convient ici de développer un peu les mécanismes de la lecture. En effet, après l'apprentissage du code, les sujets ont véritablement acquis un nouveau mode d'écriture et de lecture qui véhicule le langage.

            Non seulement ils attribuent à la position des touches sous leurs doigts le caractère correspondant, mais encore, après un certain temps d'apprentissage, ils vont séquencer la lecture de leur texte en mots.

            Lorsque nous lisons le mot "arbre", nous ne nous arrêtons pas à l'étape initiale de notre apprentissage qui consiste à lire a+r+b+r+e = arbre mais nous lisons directement le mot arbre (le signifiant) et comprenons cette représentation (signifié)

            Il est de même pour les personnes qui pratiquent couramment le Morse; celles-ci ne fixent plus leur attention sur la succession de points et de traits, ni même aux lettres constituées par ces points et ces traits mais entendent les mots du texte et se figurent mentalement leur représentation.

            Cette annotation fut déjà étudiée et interprétée par le psychologue William BRYM et un ancien télégraphiste Noble Harter en 1897 dans une étude sur l'art des télégraphistes.

            "Ces pionniers observèrent, à partir d'interviews, d'observations systématiques et d'enregistrements de travaux de télégraphistes, qu'au fur et à mesure de son apprentissage, un télégraphiste assimilait des ensembles de textes de plus en plus longs: il commençait par des points et des traits, les éléments de base de la télégraphie puis lisait des lettres, des syllabes, des mots, voire des phrases."

            L'Art de la dactylographie Timothy Salthouse in Pour la Science - Avril 1984

 

            Aussi on peut tout à fait envisager la lecture à partir de l'ordinateur comme une fin en soi et non pas seulement comme un contrôle de l'écriture. Entrer le contenu d'un ouvrage sur une disquette, la faire lire et traduire par l'ordinateur qui envoie ensuite les signaux sous forme codée et séquencée, au clavier tactile où ils sont alors lus par la main gauche de l'individu, apparaît une entreprise facilement réalisable.

            Par rapport aux livres en braille, ce mode d'écriture évite d'utiliser les énormes ouvrages utilisables par seulement 10% de non voyants.

            Par rapport aux cassettes pour magnétophone sur lesquelles sont enregistrés les textes de livres, la solution tactile présente une solution silencieuse et bien plus rapide.

            Il existe un nouveau type de magnétophone lancé par la société VSC qui permet d'écouter un enregistrement dans un temps beaucoup plus court, de moitié parfois, que la durée d'enregistrement.

            Le Pr Sanford Greenberg étudia et réalisa ce magnétophone à vitesse variable quand il se rendit compte qu'il allait devenir aveugle, et que l'écoute par cassettes de rapports nécessaires à l'exercice de sa profession entraînait une perte de temps considérable; (un orateur ne peut prononcer plus de 125 mots par minute, un adulte habitué peut lire environ 300 mots/min).

            Magnétophones : la voix accélérée ou ralentie Roger Bellone Sciences et Vie - Juin 1981

            Ainsi le mode "lecture" apparaît être un deuxième débouché tout aussi prometteur que celui du contrôle de l'écriture, dont le succès ne tient qu'à la réussite de l'apprentissage du code.

 

II - Choix du système de lecture

 

            Une partie de cette étude a consisté à rechercher différentes solutions techniques pour réaliser le clavier de lecture. Voici brièvement présentées les différentes voies qui ont été explorées et les raisons de leur abandon ou de leur choix.

 

1- Clavier à éléments piézo-électriques

 

            Cette solution, physiquement très élégante, devait prendre l'allure figurée sur le schéma ci-contre

De nombreuses difficultés nous ont conduit à abandonner cette idée:

-l'extrême fragilité des éléments piézo-électriques PXDE5

- les faibles déplacements ou efforts produits

- l'importance des tensions électriques qu'il aurait fallu produire pour engendrer des déplacements sensibles, difficilement compatibles avec les normes de sécurité.

 

            Cependant, le projet Ordi-Braille, développé par le laboratoire Langage et Système Informatique de l'Université Paul Sabatier de Toulouse a comporté un clavier comprenant des éléments piézo-électriques, éléments délaissés pour des électro-aimants miniaturisés.

 

            Si la solution piézo-électriques ne se justifie pas pour la réalisation d'un clavier d'essais, elle mérite néanmoins d'être approfondie en vue d'une application plus sophistiquée présentant d'autres exigences.

            Un des avantages de cette solution est de pouvoir répondre à une stimulation modulable en fréquence et provoquer sous la pulpe des doigts des vibrations auxquelles l'organisme est très sensible(pas d'adaptation des récepteurs sensoriels).

           

2- Le clavier à cellules thermiques

 

            L'idée consistait à utiliser des têtes thermiques identiques à celles des imprimantes thermiques qui, placées sous les doigts de la main gauche, auraient apporté l'information en échauffant la pulpe des dernières phalanges.

            Ce système était séduisant, car utilisant du matériel professionnel, conçu pour fonctionner rapidement (temps de chauffe: 3 ms, temps de refroidissement: 8 ms), avec une longue durée de vie; il a été abandonné pour les raisons suivantes:

            - le système nerveux récepteur et porteur des in formations thermiques est différent de celui concernant les informations tactiles et bien moins efficace.

            - problème psychologique de rejet dû à l'agression par la chaleur

- problème d'accoutumance correspondant à une diminution de la sensibilité et entraînant une perte d'information.

- problème de sécurité (montée et blocage des têtes thermiques en température)

- fragilité des cellules thermiques

- coût d'icelles

- électronique de commande relativement complexe.

 

3- Clavier à buzzers:

 

            Les buzzers sont constitués de céramiques piézo-électriques et d'un petit circuit oscillant qui délivrent de sons dont on peut faire varier la fréquence en utilisant une alimentation adéquate

            Le son ainsi produit est désagréable et vite insupportable et la vibration du boîtier n'est pas détectable au toucher, même en basses fréquences (< 100 Hz)

            En effet l'idée qui avait conduit à envisager cette solution était de conjuguer un système de lecture tactile (système vibrant) et auditive.

 

4- Solution de lecture auditive:

 

            L'idée, extrêmement simple à mettre en œuvre, consiste à associer à chacune des touches du clavier d'écriture, un oscillateur de fréquence déterminée. Cette solution conduit à l'apprentissage d'un langage musical où chaque caractère correspond à la combinaison de deux sons.

            L'unique objection que l'on peut formuler à l'encontre de cette solution… est qu'elle fait du bruit. Paradoxalement, elle pourrait être utilisée dans le cas d'handicapés sourds et aveugles.

            Les psychologues qui s'occupent de non-voyants sont formels: l'oreille ne peut remplacer l'œil; ces deux organes des sens n'admettent pas les mêmes modes de fonctionnement. L'oreille, organe de guet, ne peut fournir, comme l'œil, une attention continue à des stimulations prolongées

            Néanmoins, la simplicité de cette solution peut permettre son utilisation à des taches annexes:

- lors de l'apprentissage, il peut être intéressant de coupler les lectures tactiles et auditives pour faciliter ou accélérer l'acquisition du nouveau langage.

- après l'apprentissage suivant ces deux modes, la lecture auditive pourrait se substituer à la lecture tactile afin que la main, non sollicitée puisse se détendre pendant un moment et reprendre sa tache une fois reposée.

 

5- Clavier à électro-aimants:

 

            La solution électromagnétique est celle qui a été retenue pour la conception du clavier d'essai

            Les éléments utilisés sont du type 802 51 19 de chez Méca Electro

            La disposition choisie pour qu'ils provoquent la stimulation la plus sensible est représentée sur la figure

            La description du clavier tactile est donnée au chapitre III 3

            Les caractéristiques de ces éléments sont données en annexe 3

 

            Cette solution présente de nombreux avantages:

-stimulation très sensible, modulable par le circuit de commande

- rapidité (temps de montée: 40 ms; temps de descente 30 ms)

- fiabilité (matériel professionnel conçu pour des applications beaucoup plus contraignantes; ces électroaimants ont un facteur de marche de 15% et ne sont utilisés qu'en impulsion)

- simplicité des éléments et de l'électronique de commande

- coût modeste: (94 F pièce)

            Cependant, ces électro-aimants présentent les défauts de leurs qualités et dans un stade ultérieur, il faudra sans doute choisir des éléments plus petits, moins agressifs et consommant moins de courant.

 

 

VI Essais du clavier tactile – entretiens divers

 

1- Essais avec des voyants

            Le clavier tactile a été essayé, sous une forme plus rudimentaire par une vingtaine de personnes ce qui a permis de tirer plusieurs enseignements.

- Pour la plupart des gens, les impulsions alors non amorties était nettement sensibles, parfois mêmes trop brutales. Cependant les différences de sensibilité sont notables et justifient l'emploi de systèmes qui permettent de régler l'impulsion des électroaimants.

            D'après le Dr Bachy, au fur et à mesure que le sujet avance dans son apprentissage et s'habitue au mode de lecture tactile, sa sensibilité aux stimulations s'accroît et il convient de diminuer l'impact des électroaimants contre les doigts. Ceci peut se réaliser soit de façon électronique, soit en diminuant la course de l'armature mobile qui de ce fait aura une vitesse moindre donc une énergie cinétique inférieure.

            La discrimination spatiale des différentes touches n'a pas posé de problème pour la majorité des personnes qui ont expérimenté le clavier, même à vitesse élevée (temps entre deux appuis correspondant à la composition d'un caractère, soit environ 400 ms).

            Ces essais ont permis de vérifier une hypothèse formulée par le Dr Bachy, à savoir que l'apprentissage devait tendre vers une représentation vectorielle des caractères frappés. Quand on envoie au sujet un caractère constitué d'une séquence de deux appuis et qu'on lui demande ce qu'il a ressenti, celui-ci indique un vecteur dont la direction est donnée par les deux points en contact et le sens par l'ordre dans lequel les électro-aimants sont venus toucher les doigts. Ce langage vectoriel est plus facile à apprendre car il s'agit d'une lecture différentielle dont la saisie, le transfert et l'interprétation par le système neurosensoriel est plus aisée car elle correspond à des processus physiologiques plus simples: appréhender une sensation isolée est plus délicat que pour deux sensations successives que le système nerveux peut comparer l'une à l'autre, ce qui permet à la séquence de deux appuis de former une entité correspondant au caractère qu'elle représente.

 

            Cette remarque en entraîne d'autres qu'il convient de traiter ici: le clavier d'écriture, dans la phase finale de l'apprentissage comprendra deux touches supplémentaires de répétition et de répétition inverse. Ces touches évitent d'avoir à frapper deux fois la même touche (cas du m par exemple) ou d'appuyer sur deux touches situées sur le même axe longitudinal (s). Ceci a été réalisé pour éviter deux mouvements plus difficiles à réaliser et qui donc durent plus longtemps. Corrélativement, ce système évite d'utiliser dans la représentation vectorielle le vecteur nul ou des vecteurs verticaux dans le plan de la plaque et donc de n'utiliser que des vecteurs obliques, d'angle différent, plus faciles à discriminer donc à mémoriser.

 

            Cependant cet artifice facilitant la frappe et la mémorisation ne sera pas utilisé sur le clavier d'écriture pendant la phase initiale de l'apprentissage et a priori pas du tout sur le clavier de lecture.

            D'après le Dr Bachy, d'une part le passage de la frappe à 8 touches à celle à 10 touches se fait extrêmement facilement tant l'apport pratique des 2 touches supplémentaires est appréciable. D'autre part le fait d'avoir 10 touches sous la main droite est seulement 8 sous la main gauche ne présente pas d'objection sur le plan physiologique tant notre système nerveux est doué pour ce genre de situation et pour réaliser de nouvelles connexions neuronales.

 

            En ce qui concerne les correspondances directes ou inverses entre les deux claviers, les résultats des essais sont concluants. En effet, les deux claviers étaient disposés à plat en correspondance inverse (auriculaire à pouce).

 

            La moitié des personnes interrogées ne s'est pas même rendu compte que la correspondance était inverse, peut être moins naturelle que la correspondance directe.

 

            Quant aux autres personnes qui ont remarqué cette disposition particulière, elles ont assuré que cela ne leur créait aucune gêne.

 

 

2- Entretiens

 

a- point de vue du psychologue:

 

            Au cours d'un entretien particulièrement intéressant puisque Mme Y. Hatwell, psychologue à la Faculté de Grenoble, a travaillé pendant 10 ans avec deux centres d'éducation parisiens pour aveugles, plusieurs questions ont été évoquées.

            Dans le projet de clavier tactile, la lecture se fait par la main gauche. Or on sait que les informations saisies par la main gauche vont aboutir à l'hémisphère droit du cerveau (car les commandes motrices sont croisées) et donc pour être traitées par le centre du langage, qui se trouve dans l'hémisphère gauche, il leur faudra effectuer un transfert transcérébral dont la durée pourrait créer des troubles dans la compréhension du langage.

            Quand les aveugles lisent un texte en Braille, ils utilisent leurs deux mains qui sont en général d'égale habileté. Paradoxalement, quand l'une permet de lire plus rapidement que l'autre, c'est la gauche. Ceci s'explique par le fait que la lecture Braille implique une saisie de formes qui trouve son adressage naturel dans l'hémisphère droit; de plus, quand les aveugles écrivent, ils le font de la main droite et relisent de la main gauche.

            Ainsi, la disposition du clavier de lecture sous la main gauche ne présente pas de contre-indication de principe.

            Le point le plus important qui est ressorti de cet entretien est celui qu'on pourrait appeler: le problème de la main passive

            La fonction première de la main, organe privilégié du toucher, véritable interface entre le monde extérieur et notre monde intérieur est la saisie d'objets et ce dans un mode dynamique de mouvement. Le succès du Braille tient au fait que la saisie d'informations, objets abstraits matérialisés par les picots des matrices du code, se réalise dans le mode propre de la main, mode actif par le déplacement.

            Le principe de la manipulation utilisant le code Sixtem entraîne la main gauche à demeurer statique pour saisir les informations; c'est-à-dire que la main gauche remplit son rôle de capteur dans un mode passif qui n'est pas son mode propre.

            Des appareils ont été réalisés pour les aveugles à base de systèmes ultrasoniques destinés à les diriger sans danger. Ces appareils ont créé des phénomènes de rejet car la stimulation permanente de l'oreille équivaut à une agression. Ils ont été délaissés au profit de la bonne vieille canne, prolongement naturel du bras.

            Ainsi, le problème de la main passive est un des obstacles majeurs que devra surmonter le projet de clavier tactile pour être accepté. On peut néanmoins compenser la passivité de la main gauche lors de la lecture en lui attribuant un certain nombre de fonctions actives à remplir (commande, traitement de texte…)

 

b- Point de vue du physiologiste:

 

            Les circuits physiologiques les plus efficaces sont ceux qui conservent les analogies entre les deux mains, avec le moins de transformations possible

            Les analogies du clavier, du mouvement, de la durée ne sont pas respectées rigoureusement:

- clavier à touches pour l'écriture, main posée au dessus d'électro-aimants pour la lecture et symétrie inverse entre les deux mains.

- mouvement descendant pour la main droite ; position statique de la main gauche qui reçoit le mouvement ascendant des électroaimants

- durée de l'appui pour la main droite; durée réglée par les temporisations des séquences pour la gauche.

            Cependant, les transformation réalisées ne sont pas complexes et donc ne présentent pas d'effort important pour l'établissement des relations entre les gestes des deux mains.

            De plus, l'absence de différentiation entre les deux claviers risquerait de créer une identité entre les objets envoyés par la main droite et ceux perçus par la main gauche qui pourrait masquer les erreurs du type: "confusion mentale entre les deux caractères".

 

 

c- Point de vue d'un ingénieur du projet Ordi-Braille (Université Paul Sabatier de Toulouse):

 

            Le projet Ordi-Braille a pour but de permettre aux non-voyants l'accès à l'informatique, il comprend:

- un clavier d'écriture (main droite) composé de six touches correspondant aux picots du code Braille

- une table de lecture comprenant 20 matrices de 6 picots au pas de 2 mm (Braille) constitués de noyaux plongeurs qu'on lit séquentiellement en déplaçant les mains.

            Les difficultés rencontrées par ces chercheurs intéressent notre étude:

- fragilité des électroaimants, très sensibles à la poussière. Dans une phase plus évoluée, il est prévu de remplacer les électro-aimants actuels par des éléments plus réduits.

- les matrices à 6 touches ne permettent pas de réaliser les 128 caractères ASCII, impératif que doit remplir le code Sixtem dont l'élaboration n'est pas encore terminée.

- le projet Ordi-Braille coûte un prix exorbitant:

- le clavier tactile revient à environ 15 kF

- son utilisation avec un logiciel de traitement de texte revient à 100 kF et ne permet même pas la gestion d'un compte bancaire…

 

d- entretien avec un ingénieur aveugle autour d'un projet analogue:

 

            Le projet de M. Dumont consiste à réaliser une imprimante sténo-braille et l'interface qui permet de la commander à partir d'un ordinateur comme n'importe quel autre périphérique.

            Les deux études ont un grand nombre de points communs tels que le contrôle (lettre par lettre ou séquentiel), les méthodes d'apprentissage…

            De plus M. Dumont, qui travaille surtout pour des handicapés sourd et aveugles utilise le code Morse qu'il fait lire sur la membrane du haut parleur de son ordinateur par voie tactile.

            Sur le problème du code Sixtem qui, comme un jeune premier, vient disputer sa place au très noble Braille, M. Dumont a encouragé son développement car il connaît les difficultés de l'apprentissage du Braille. Il nous a toutefois  conseillé de nous adresser à des centres de jeunes aveugles, comme celui de Poitiers par exemple, où nous trouverions des personnes plus enclines à essayer de nouveaux procédés que des personnes plus âgées qui auront investi beaucoup de temps et d'efforts dans l'apprentissage du Braille.

 

 

3- Essai et entretien avec des non-voyants:

 

            Grâce à l'amabilité d'un couple de non-voyants, il a été possible de réaliser un essai avec l'ensemble tactile sous sa forme actuelle, couplée à l'ordinateur et d'avoir un avis réaliste (car ces personnes ont été très objectives) de gens à qui ce projet s'adresse.

            Voici rapportées les remarques qui ont été émises au cours de l'essai et de la discussion qui a suivi sur la conception du clavier tactile, le code Sixtem et la méthode d'apprentissage.

 

a- le clavier tactile:

 

            Le principe du clavier tactile et sa réalisation ont tout a fait intéressé ces deux personnes qui n'ont trouvé à lui reprocher que quelques points de détail:

En ce qui concerne la plaque perforée sur laquelle reposent les doigts:

Dessiner une empreinte ayant la forme de la main afin que le non voyant puisse caler sa main plus facilement

- remplacer les 8 trous circulaires par 4 trous oblongs de manière à ce que les deux électro-aimants frappent bien la pulpe des doigts- numéroter et dénommer les électro-aimants pour les reconnaître plus facilement.

            En ce qui concerne le problème de la main gauche, ils n'ont pas émis d'objection de principe, mais ce problème risque de n'apparaître qu'après la phase d'apprentissage, au bout d'un long temps d'utilisation continue.

            L'idée de substituer à la lecture tactile une lecture auditive a été évoquée. Ils la rejettent catégoriquement; seuls les musiciens peuvent retenir de longues mélodies.

 

b- le code Sixtem:

 

            C'est sur ce point que ces non voyants se sont montrés les plus réticents.

            L'un était catégorique: il est hors de question, pour des aveugles d'investir du temps dans l'apprentissage d'un nouveau code qui n'offre ni les garanties ni les services du code Braille.

            D'une part les aveugles ont une admiration sans borne pour ce code, quand ils le pratiquent.

            D'autre part, en supposant que du point de vue de la lecture, le code Sixtem soit aussi efficace, il n'offre pas la possibilité d'un support matériel (ce problème a été levé, le code Sixtem peut être embossé comme le code braille et lu de la même manière en utilisant les pulpes des index des  2 mains et peut être même sous forme globale du caractère par les plus doués).

            L'autre personne était plus nuancée et paraissait plus ouverte aux autres solutions que le Braille (comme le projet Optacon qui utilise des minis caméras par exemple) et encourageait la recherche du projet tactile avec le code Sixtem.

           

c- la méthode d'apprentissage:

            Le principe de la rétroaction lecture écriture a tout de suite séduit ce couple de non-voyants.

            Bien sûr les programmes présentés doivent être optimisés mais la méthode les a conquis, au point qu'ils ont conseillé de l'utiliser pour réaliser un système d'auto apprentissage du Braille !

            Il est possible en effet d'associer au clavier tactile un clavier d'écriture ayant la configuration de ceux qu'utilisent les non-voyants pour écrire en Braille (certains pour aveugles mutilés sont utilisables d'une seule main). Ce clavier enverrait des caractères au micro-ordinateur qui les transmettrait au clavier tactile configuré de manière à permettre la lecture Braille.

 

d- conclusion:

            Le bilan de ces essais est très positif quant au principe même de la manipulation: la lecture des caractères sur le clavier tactile a été pleinement réussie, la rétroaction lecture écriture tout a fait convaincante.

            Le code Sixtem, concurrent direct du Braille n'a pas été accepté. Pour qu'il le soit, il faudrait qu'il s'affirme plus simple, plus efficace et qu'il puisse rendre les même services que le Braille

           

 

           

 

 

 

Eléments de réflexion sur les codes Sixtem et Braille

 

            Les avis du couple de non-voyants ont apporté de l'eau au moulin d'une réflexion sur le code Sixtem qui, au cours du stage, m'avait fait traverser une crise de scepticisme quant à son bien fondé.

            Cette réflexion m'était venue quand je me suis rendu compte que les différentes idées envisagées aboutissaient à des solutions techniques assez semblables: clavier d'écriture de 6 à 8 touches sous la main droite, clavier tactile sous la main gauche, ou les deux mains.

            Ce qui doit donc faire la différence, entre notre solution et les autres: c'était le code Sixtem.

            Il fallait que la conception du code Sixtem lui permette de surpasser le Braille qui a déjà fait ses preuves et surtout qui est établi depuis 50 ans, chose difficilement imaginable.

            Les arguments en faveur du code Sixtem sont les suivants:

- il permet de réaliser les 128 caractères ASCII, chose que ne permet que le Braille 7 points

- il utilise des configurations simples (un caractère est une combinaison de 2 appuis; 1 à 7 points pour le Braille

- il fait appel à des symboles qui reproduisent le graphisme de l'alphabet usuel, ce qui offre une aide mnémotechnique appréciable pour les aveugles tardifs

- un nombre qui pourrait jouer en faveur du code Sixtem est celui des aveugles qui pratiquent le Braille: 50% des aveugles le connaissent mais seuls 10% le pratiquent en lecture courante. La question est de savoir si les aveugles qui ne pratiquent pas le Braille pourraient apprendre le code Sixtem.

 

Conclusion

 

            Le bilan de cette étude est globalement positif puisque l'ensemble réalisé, prototype d'essai a permis de vérifier la faisabilité de l'opération de lecture tactile et mis en évidence le bien-fondé de la méthode d'apprentissage par rétroaction écriture-lecture et ceci par des non-voyants.

            Bien sur, le clavier tactile déjà fonctionnel pourra être amélioré (mise en place d'un microprocesseur pour le rendre plus autonome) et les programmes d'apprentissage optimisés.
            Ceci permettra la pratique du code Sixtem dont on verra, à l'usage, s'il peut prétendre à une place à coté du "génial" code Braille.

            Quant à l'intérêt que j'ai porté à ce stage, déjà grand par la réalisation d'une manipulation couronnée de succès, il fut multiplié par le nombre de domaines que j'ai du aborder pour réaliser le clavier tactile: de l'électronique au bricolage, de l'informatique à la physiologie et la psychologie !...

           

 

 

           

 

 

 

          Â